FORMATIONS AU SEIN DU SERVICE

La formation des internes aux urgences comporte le plus souvent une formation théorique ainsi qu’une formation pratique, quotidienne auprès du patient sur la base du compagnonnage. La capacité de ces futurs acteurs de soins à pouvoir prendre en charge en situation d’urgence des pathologies singulières ou fréquentes mais complexes, nécessite non seulement un vécu personnel de l’événement mais surtout d’y avoir été confronté un certain nombre de fois. L‘application de stratégies diagnostiques et thérapeutiques, doit être instantanée et élaborée en s’appuyant sur un travail en équipe mixte (médical et paramédical).

INTRODUCTION
Notre pratique au quotidien en tant qu’urgentiste au sein d’un CHU laisse transparaître des souffrances dans le système d’encadrement actuel et ce malgré notre engagement viscéral à partager nos expériences, fruit de nombreuses années d’exercice parfois jalonnées « d’événements indésirables » par méconnaissance ou inaptitude.

L’engouement pour l’enseignement de la médecine d’urgence nous a poussé à explorer de nouvelles voies d’apprentissage afin d’améliorer :

1/ la pédagogie par le désir au quotidien d’apprendre et de maîtriser des gestes pratiques des stagiaires basés sur l’expérience permettant de développer une pratique réflective et de mémorisation cognitive.

2/ la sécurité des patients : l’enseignement sur simulateur ne mettant pas en péril la vie des patients tout en se rapprochant de la réalité : travail d’équipe et siphon adrénergique assuré.

A partir de ce constat, une réflexion s’est imposée à nous :

• quels sont les outils dont nous disposons pour faciliter la maîtrise et l’enseignement pratique de cet art qui nous est cher ?

• existe-t-il des systèmes éprouvés et validés en médecine d’urgence voire dans d’autres domaines apparentés à la gestion du risque ?

La réponse est « Oui » et porte le nom de « Simulation ». L’aéronautique, le nucléaire (Centrales EDF), et le milieu sous-marinier l’ont adopté depuis leur début. Les anesthésistes et en particulier le Professeur David GABA l’ont développé en anesthésie aux Etats-Unis dès la fin des années 80.

La simulation est devenue incontournable dans tous les domaines où la réalité du terrain  comporte des risques humains et matériels. Elle a permis d’accroître la sécurité en améliorant les pratiques individuelles des acteurs d’un système, mais aussi en améliorant les pratiques collectives (gestion des crises, communication entre les individus, etc.). Ainsi, nous avons institué depuis novembre 2007 des sessions de formation à l’intention des internes du service sur des simulateurs pour recréer des situations d’urgence vitale : simulateurs simples (tête d’intubation) et de haute fidélité (SimMan® de Laerdal).

Les objectifs primaires de notre étude comportent une mise en situation des internes sur des scénarii d’urgence vitale afin d’évaluer et d’améliorer leurs compétences cliniques dans ces différentes situations. Nous avons souhaité familiariser les étudiants à ce type de situations génératrices de stress et de panique à l’origine d’erreurs de fixation, d’omissions et de conduites inadaptées. Nous avons évalué l’acquisition des connaissances des jeunes médecins urgentistes et réalisé dans le même temps une étude qualitative de satisfaction de ces séances de simulation.


MATÉRIEL ET MÉTHODE
Il s’agit d’une étude descriptive portant sur l’évolution des connaissances des internes en médecine d’urgence en début et fin de semestre réalisée dans la structure des urgences de deux centres hospitaliers universitaires de novembre 2007à novembre 2008. Nous avons inclus les internes en stage aux urgences durant 1 an soit deux promotions consécutives de 15 internes. Les internes étaient soumis à une séance de simulation sur mannequin haute fidélité en début et en fin de semestre.
Leurs compétences étaient évaluées en début et fin de semestre par un questionnaire déclaratif avec meilleure réponse possible (nul, théorique, a vu faire, a fait sur simulateur, a fait sur patient aidé ou seul) selon le référentiel de compétence d’un médecin urgentiste élaboré en 2004 par la SFMU.

La satisfaction des internes sur les séances desimulation a été évaluée après chaque séance de simulation sur la base d’un questionnaire de satisfaction (échelle de Likert à 5 items très satisfait, satisfait, assez satisfait, plutôt satisfait, pas satisfait). Les séances de simulations se sont déroulées dans le service des urgences dans une chambre dédiée à la simulation. Cette chambre reproduisait une Salle d’Accueil des Urgences Vitales et était équipée conformément aux recommandations 2003 de la SFMU avec notamment un scope, un chariot d’urgence, un respirateur, un plateau d’intubation, un défibrillateur…
Cette chambre était transformée en « Centre de simulation » grâce à la participation du GIME (Groupe Infinite Medical Education®) et de son labmobil®, laboratoire de simulation mobile, géré par un technicien spécialisé comprenant :

- un simulateur patient de type SimMan® Laerdal (photo n°2).
- un équipement vidéo (caméra, transmission, table de mixage, enregistrement stockage).
- un équipement audio (micro, haut parleur, table de mixage, enregistrement et stockage, micro cravate).
- Logiciel de débriefing (pc ou mac, enregistrement et stockage).
- Câblage.

Les séances de simulations étaient encadrées par des médecins urgentistes travaillant dans le service et ayant au minimum 4 années d’expérience, formés à la simulation (Diplôme européen d’instructeur à la simulation ou titulaire du Diplôme de Formateurs à l’Enseignement de la Médecine sur Simulateur, Paris Descartes). Les scenarii utilisés dans le cadre de l’étude abordaient plusieurs thèmes de médecine d’urgence (12 scenarii d’urgence vitale) : scenari de douleur thoracique, d’arrêt cardio respiratoire, de détresse respiratoire, de coma… autant de situations vécues et, parfois même, débriefées lors de revues de morbi-mortalité.

RÉSULTATS
En début de semestre 44% des gestes ne sont pas maîtrisés par les internes, contre 23% au bout de 6 mois soit une diminution quasiment de moitié. En fin de semestre, 76% des situations et gestes d’urgences ont été pratiqués au moins une fois par nos internes contre 55% en début de semestre. L’enseignement dispensé au cours du semestre a permis d’augmenter de 46% le niveau de compétence pratique des internes et a permis de confronter au moins une fois sur simulateur les internes à des situations comme la VNI, une intubation orotrachéale simple ou difficile ou une prise en charge d’arrêt cardiaque avec défibrillation.

- 10 internes ont répondu au questionnaire de satisfaction.
- La satisfaction des internes est globalement bonne ou excellente (100%).
- 100% des internes ont répondu qu’ils allaient changer leur pratique après ces séances de simulation.
- 100% des internes ont répondu positivement sur le caractère interactif de la formation : excellent (60%) ou bien (40%).
- Enfin 100% des internes ont répondu avoir eu une mise à jour de leur connaissance à travers ces séances.

DISCUSSION
Les compétences cliniques des internes sont améliorées grâce, notamment, à la mise en place de sessions de simulation dans le programme pédagogique lors de leur semestre aux urgences. La satisfaction de 100% montre bien que l’esprit dans lequel se fait la simulation est propice à un apprentissage de qualité. Comme certaines activités industrielles, la médecine d’urgence représente une activité à haut risque mettant en jeu une organisation exigeante qui implique une haute fiabilité. Sa technicité a poussé les médecins urgentistes à rechercher des solutions validées dans l’industrie pour accroître leur performance au quotidien et augmenter la sécurité des soins des patients et notamment en situation de stress.
L’aviation a été une grande source d’inspiration : alors que dans l’aéronautique, les simulateurs ont été créés en même temps que les avions, la simulation en médecine d’urgence n’en est qu’à ses débuts. Pour des raisons structurelles (coûts, logistique) et conjoncturelles (mentalité médicale, volonté politique), les simulateurs réalistes de haute fiabilité sont encore peu présents dans l’environnement médical. La question de déplacer les internes dans un centre de simulation s’est posée mais un partenariat universitaire avec une société de formation (le GIME®) a permis de mettre à disposition les éléments matériels et humains indispensables.

Le fait de faire la simulation dans les urgences permet :

- Sur le plan pédagogique : d’utiliser un matériel connu par les apprenants dans des locaux connus, donc améliore le réalisme donc l’apprentissage.
- Sur le plan organisationnel : il était plus difficile de faire déplacer 15 internes, d’autant que leur présence en soins dès la fin de la simulation était souhaitée sur le terrain pour permettre aux autres internes de participer.

David Gaba, MD, a été l’un des pionniers de la simulation en médecine et en particulier en anesthésie à introduire la simulation comme méthode d’apprentissage : « les industries dont l’activité présente des risques pour la vie humaine, et dont la sécurité dépend d’opérateurs qualifiés, n’ont pas attendu des preuves irréfutables des bénéfices de la simulation pour l’adopter. Selon moi, l’anesthésie ne devrait pas faire exception. ».

Par ailleurs, en 1999, l’institut de médecine Américain publie « to err is human » (« l’erreur est humaine ») en

insistant sur l’importance des évènements indésirables médicaux : « >70% des évènements indésirables médicaux sont lies à des problèmes de communication et de coordination ». Autrement dit les erreurs médicales constituent un sérieux problème et leur première cause n’est pas l’incompétence des acteurs, mais la mauvaise qualité du système médical : on doit re-concevoir globalement le système médical et changer la façon de former nos médecins.

Un grand nombre de situations d’exceptions en médecine d’urgence peuvent être reproduite sur simulateurs réalistes de dernière génération (mannequin + interface informatique) et ainsi faciliter l’apprentissage initial de nos jeunes apprenants (médecins juniors). L’objectif des sessions a été d’améliorer le raisonnement clinique de nos apprenants, et de leur permettre d’acquérir la maîtrise de gestes techniques, d’appliquer des protocoles thérapeutiques validés afin d’homogénéiser les pratiques, le tout dans un environnement à l’abri du stress de « la première fois ». Pour le patient, il lui est épargné l’inconfort de servir de « cobaye ». Le simulateur permet de tester et d’améliorer l’interaction entre l’apprenant et son équipe lors de la gestion d’une situation de crise avec la prise en compte des facteurs humains dans la cascade des évènements, et ce d’autant plus que cette situation se produit rarement.

La formation sur simulateur a permis à nos apprenant de :

- reconnaître précocement l’incident,
- faire appel à des renforts,
- prendre la direction des actions en tant que team leader,
- gérer les moyens techniques et humains disponibles,
- répartir les tâches de travail (communication entre les différents acteurs).

Les sessions de formation sur simulateur ont été filmées, enregistrées, visualisées et ont pu permettre un débriefing ultérieur. La séquence briefing – séance sur simulateur – débriefing est un pilier pédagogique indispensable dans ces formations.

L’intérêt suscité par ces séances de simulation pouvait varier selon les internes : les internes en stage dans le service n’étaient pas tous destinés à exercer la médecine d’urgence, une partie d’entre eux allaient s’orienter vers la médecine générale. Certains scénarii faisaient intervenir des infirmiers et aides soignants dont le rôle était tenu par les internes ce qui pouvait à certains moments limiter le réalisme des scénarii. Par ailleurs, nous nous sommes souvent heurtés au problème des ressources humaines dédiées aux séances de simulations que ce soit du côté organisateur (mobilisation de trois médecins) que des apprenants (mobilisation de l’ensemble des internes sur une journée).


CONCLUSION

La simulation est en passe de devenir un outil pédagogique « incontournable » en médecine d’urgence. En Amérique du Nord le concept existe depuis plus de 20 ans. Elle permet la formation initiale et continue de tous les intervenants de la chaîne médicale. La preuve nous a été apportée par l’engouement de nos jeunes apprenants lors des sessions semestrielles organisées au sein de notre service d’urgence.
Au-delà de l’intérêt suscité, statistiques à l’appui, la courbe d’apprentissage a connu une inflation de 46%. Désormais et ce depuis novembre 2007, le passage de nos internes sur le simulateur fait partie intégrante du stage aux urgences. La cohésion et la communication entre les jeunes apprenants et le reste de l’équipe en est sortie renforcée, imposant au passage une profonde remise en cause personnelle, encadrée par une rigueur méthodologique spécifique à la pédagogie sur simulateur (débriefing).
Actuellement, le développement de la simulation est freiné par son coût, par les limitations techniques et humaines, et enfin les choix institutionnels. Néanmoins, dans une perspective d’amélioration de la qualité des soins et de la sécurité, à l’instar d’autres domaines, la simulation en médecine d’urgence est vouée à un développement inéluctable dans les prochaines années. Dans ce cadre, il sera important d’étendre ce type de formation à l’ensemble du personnel des urgences pour favoriser le travail en équipe ainsi que d’inclure ce type de formation dans le cursus des internes en médecine d’urgence via la création d’un centre de simulation.

Guillaume DER SAHAKIAN (1), François LECOMTE (1), J. KANSAO (1),

Grégory CARDOT (2), G. KIERZEK (1), H. BOUBAKER (1),

Y-E CLAESSENS (1), Jean-Louis POURRIAT (1)

(1) Université Paris 5. Faculté de Médecine Paris-Descartes ; AP-HP ; Service des Urgences

Hôtel Dieu – Cochin; Place du Parvis Notre Dame; 75004 PARIS.

(2) Groupe Infinite Medical Education

Retrouver la suite de l’article d’Urgences Pratique :

« Nous tenons particulièrement à remercier l’engagement du Groupe Infinite Medical Education, GIME par son aide technique et humaine lors de  sessions de simulations qui ont lieu aux urgences de Cochin -Hôtel Dieu »

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